Mamie

 

« Qu’est-ce que tu fais ma petite chérie ? » 

« Je travaille sur une biographie Mamie. » 

« Ah oui tu écris » ? me demande t’elle pour la troisième fois de la journée. 

 

Ma grand-mère oublie les petites choses de la vie. Surtout depuis que mon grand-père est parti. Elle se souvient des grandes choses, des dates, des gens, elle a même une mémoire d’éléphant en ce qui concerne le passé. Mais aujourd’hui elle me demande si je veux prendre un café alors que nous venons tout juste de laver et de ranger nos tasses après le déjeuner. 

 

Je passe la porte de l’appartement de ma grand-mère depuis plus de 40 ans. C’est le seul endroit où je reviens régulièrement depuis ma naissance. Ma seule terre originelle oserais-je dire. Rien n’y change vraiment et c’est que j’aime profondément quand je suis là-bas. Le vieux lit qui craque, la couverture en laine rose, son savon Dove, son pot bleu de crème Nivea, les coquillettes débordantes de beurre, la tarte à l’abricot, ses robes fleuries achetées sur le marché ou par correspondance, ses bas ou encore le tube de laque posé sur le rebord de l’évier. La photo de mon grand-père lors d’un match avec son club de basket, qui, sur l’image, aura éternellement 20 ans. La vieille armoire en noyer dont les entrelacs feuillus et fleuris ornent depuis toujours les portes qui résistent inlassablement quand on veut les ouvrir. La vaisselle fleurie qui ne fane pas. Le Chesterfield vert qui se craquelle. Sa voix quand elle fredonne une chanson ou quand elle jure en italien. Violette, la voisine. La vue du balcon sur le barrage hydraulique pour lequel mon Papi et mon oncle ont travaillé toute leur vie. 

 

Ma Mamie s’appelle Irma. Elle a 93 ans depuis peu. Elle s’assoit au même endroit depuis plus de 50 ans pour lire, manger ou regarder la télé, sa seule connexion avec la réalité de notre société. Cet objet qui laisse rentrer la modernité dans ce lieu préservé. Cette télé sur laquelle elle a pourtant arrêté de regarder les informations parce qu’elle ne comprend pas (ou que trop bien) pourquoi l’être humain n’a pas appris de ses erreurs du passé. La vie moderne ne l’intéresse plus, elle n’a plus l’âge me dit-elle. Et quand je suis auprès d’elle, à la regarder laver à la main les verres en cristal qu’elle utilisait déjà quand elle était jeune mariée, je ne m’y intéresse plus vraiment non plus.  

 

Elle se rappelle de l’important me dit-elle. Le reste, elle l’oublie. 

 

 

* Texte écrit il y a quelques années déjà et retrouvé par hasard il y a quelques jours. Ma grand-mère et son histoire furent pour beaucoup dans mon envie de devenir écrivaine publique.