Il existe un moment très particulier dans mon métier d’écrivaine publique, il s’agit de l’Après. Quand mon accompagnement s’arrête après avoir rencontré, écouté, ressenti, écrit, ajusté, corrigé, mis en page, imprimé, livré. Je compare souvent l’écriture d’un récit de vie au travail d’une dentelière. Tisser chaque mot, réfléchir à chaque point qui va donner vie à une œuvre qui aura la fragilité de sa matière, la mouvance de son utilisation.
L’après. Ce moment où le récit ne m’appartient plus. Non pas qu’il m’ait vraiment appartenu mais pendant quelques semaines, mois, années, il aura été sous ma « responsabilité ». Construit par le rythme que j’ai pu donner aux rencontres et aux mots.
Et puis arrive ce point de bascule, autant souhaité qu’appréhendé. Inexorablement, je laisse le livre suivre sa destinée propre. Je perds le lien avec ce récit qui m’aura tant habitée. Il qui va passer de main à main, il va être lu, commenté, échangé, il va servir de connexion entre des personnes ; il va, dans certains cas, devenir un point d’ancrage entre deux ou trois générations.
Bien sûr, je garde généralement un lien avec la personne qui m’a livré tout ou partie de sa vie. Bien sûr, celle-ci me partage les retours immédiats, les réactions, les questions. Bien sûr, je n’ai écrit que pour ce moment-là. Ce moment où le livre m’échappe. Mais je ne suis plus là, au cœur de l’écriture, à ce point d’achoppement entre le fond et la forme. Je rends le récit aux personnes qu’il concerne vraiment. Ceux qui se retrouvent dans l’histoire, ceux qui aiment les personnes qui s’y sont racontées, ceux qui découvrent une partie de leurs origines.
Je l’aime profondément ce moment-là mais je ne peux pas m’empêcher de ressentir, à chaque fois, une forme de mélancolie. D’ailleurs il me faut souvent un peu de temps entre deux biographies. Le temps de me détacher sans oublier, le temps de « ranger » le livre dans la bibliothèque mentale des récits de vie que j’ai écrit, le temps de faire place nette avant de me replonger de tout mon être dans le récit suivant et lui offrir la même spontanéité qu’au précédent.